2.3. Le message nerveux

2.3.1. Synapses

Pour comprendre comment le message nerveux est acheminé jusqu'au cerveau, il est impératif de comprendre comment celui-ci est transmis d'une cellule nerveuse à une autre. Il nous faut donc expliquer le fonctionnement d'une synapse contactant les deux cellules : l'extrémité du prolongement pré-synaptique est formé d'un renflement, le bouton synaptique, riche en neurotransmetteur, contenu dans de petites vésicules. Un espace sépare le neurite pré-synaptique du neurite post-synaptique appelé la fente synaptique. La membrane post-synaptique (qui doit recevoir l'influx) porte des récepteurs spécifiques à ces neurotransmetteurs ; et lorsqu'un un influx nerveux atteint le bouton synaptique, il y provoque l'expulsion du neuromédiateur dans la fente par éclatement des vésicules : celui ci atteint les sites récepteurs de la membrane post-synaptique et y déclenche un influx nerveux. Dans le cas étudié, pour que le neurotransmetteur, en l'occurrence le glutamate, soit libéré par les cônes, c'est à dire pour que les vésicules éclatent, il faut que le potentiel de récepteur à proximité de la synapse se situe à un certain seuil de dépolarisation ; la quantité libérée augmentera ensuite en fonction du niveau de dépolarisation.

Figure 2-6. La transmission synaptique

Légende.

  1. Stockage du glutamate dans une vésicule synaptique;

  2. L'arrivée du potentiel de récepteur dans la terminaison présynaptique;

  3. Fusion des vésicules avec la membrane pré-synaptique;

  4. Libération du glutamate dans la fente synaptique;

  5. Fixation du glutamate sur les récepteurs de la membrane postsynaptique;

  6. Nouveau potentiel de récepteur;

  7. Inactivation du glutamate par des enzymes;

  8. Recapture du glutamate.

Dans l'obscurité, comme nous l'avons expliqué, par suite du courant d'obscurité, et de leur potentiel de récepteur de -40mV, les cônes sont en permanence dépolarisés; leur neurotransmetteur, le glutamate, est donc libéré en continu. Par contre, lors de la stimulation lumineuse, le potentiel de récepteur des cônes s'accroît (passant de -40mV à -80mV), s'éloignant ainsi brusquement du seuil de dépolarisation nécessaire à la libération complète du glutamate : il y aura ainsi moins de glutamate libéré.

Ainsi, le potentiel de récepteur, contenant les informations sensorielles nées lors de la transduction, contrôle le flux du neurotransmetteur libéré comme nous venons de le décrire. Le glutamate libéré, lui, se chargera d'induire les informations sensorielles dans les cellules bipolaires et horizontales ; nous allons maintenant étudier les "transmissions synaptiques" entre les cônes et les cellules bipolaires dans l'obscurité et lors de la stimulation lumineuse.

2.3.2. Cônes/Bipolaires

Comme nous l'avons vu, les cônes présentent deux types de synapses. Chacune contacte deux catégories de cellules bipolaires : les bipolaires invaginées (BipI) et les bipolaires superficielles (BipS), les zones de contact se situant dans la couche plexiforme externe. Nous avons également vu que l'activation de la iodopsine par la lumière se traduisait au niveau synaptique par une moindre quantité de neurotransmetteur libéré. Inversement, sitôt l'activation terminée, cette quantité augmente. Le point capital ici est de comprendre que ces deux catégories de cellules bipolaires réagissent de façon opposée au glutamate, le neurotransmetteur libéré par le cône. Ceci sous-entend qu'il existe deux types de synapses dont le rôle diffère: les synapses excitatrices et les synapses inhibitrices. En effet, la synapse peut soit transmettre une information, soit l'empêcher de se propager. Dans la synapse excitatrice, la libération du neurotransmetteur provoque du côté post-synaptique une augmentation de la perméabilité au sodium Na+. Du sodium Na+ pénétrant dans le neurone post-synaptique, la membrane de celui ci est dépolarisée, et un potentiel post-synaptique excitateur apparaît. L'information passe d'un neurone à l'autre. Dans la synapse inhibitrice, la libération du neurotransmetteur entraîne au niveau du neurone post-synaptique une hyperpolarisation de la membrane. Celle-ci est donc moins sensible aux stimulations et on assiste à une inhibition de la transmission de l'influx. Ainsi:

Figure 2-7. Les deux voies antagonistes

On remarque ainsi que le début et la fin de la stimulation lumineuse sont caractérisés par des dépolarisations successives des deux catégories de cellules bipolaires de cônes : les bipolaires invaginées au début, puis les bipolaires superficielles à la fin. Le point essentiel à retenir est que, dès cet étage précoce du traitement rétinien, il existe deux voies complètement indépendantes qui mesurent, par des excitations, l'une l'augmentation de la quantité de lumière (BipI), l'autre sa diminution (BipS). Ces deux voies, respectivement ON et OFF, fonctionnent en parallèle et demeurent indépendantes jusqu'au niveau du cortex cérébral primaire.

2.3.3. Bipolaires/Ganglionnaires

Mais avant de quitter l'oeil, un dernier étage doit être franchi par l'information visuelle : celui des cellules ganglionnaires. Entre elles et les bipolaires des cônes, le glutamate sert encore de neurotransmetteur. Mais cette fois, son action va toujours dans le même sens : dépolarisation, et donc excitation. La cellule ganglionnaire sera excitée quand la cellule bipolaire qui la contacte le sera aussi. Suivant le principe des deux voies, ON et OFF, les ganglionnaires ON seront les cellules connectées par les bipolaires ON (BipI) et les ganglionnaires OFF celles connectées par les bipolaires OFF (BipS). Le glutamate se chargera d'induire à nouveau les informations visuelles contenues dans les potentiels membranaires dans les cellules ganglionnaires, entraînant une fois de plus l'apparition d'un potentiel membranaire, contenant l'information sensorielle initiale, déjà traitée par les bipolaires. Les contacts entre les cellules bipolaires et les ganglionnaires ont lieu dans une couche de la rétine appelée couche plexiforme interne. Or, les connexions entre les BipI et les ganglionnaires ON d'une part, les BipS et les ganglionnaires OFF d'autre part, s'effectuent dans des sous-couches distinctes et superposées de cette couche. Tout se passe donc comme si cette dernière etait constituée de deux représentations antagonistes de la même image optique, l'une étant le négatif de l'autre. Les liaisons cônes-cellules bipolaires-cellules ganglionnaires forment les voies de transmission directe. Il existe aussi des voies parallèles qui comprennent les cellules horizontales mettant en liaison différents types de cônes et les cellules amacrines mettant en liaison différentes cellules bipolaires.

Les cellules ganglionnaires possèdent une longue fibre appelée axone. Nous avons déjà vu que l'ensemble des axones constituait le nerf optique. Pour pouvoir créer des signaux capables d'atteindre le cerveau sans perte d'information, il faut que les potentiels d'action propagés soient générés au niveau de ces fibres optiques ; pour cela, la dépolarisation de la membrane de l'axone est indispensable (valeur seuil). Celle ci provoquera donc l'apparition d'un potentiel d'action (PA). Ce PA est en fait une inversion brutale et transitoire du potentiel membranaire, qui obéit a la loi du tout ou rien ; c'est à dire que si le seuil de dépolarisation n'est pas atteint, il n'apparaît pas ; mais si le seuil est atteint, la réponse est maximale d'emblée. Le PA se propage aussi sans atténuation, de manière autonome, tout au long de la fibre de l'axone. Les ganglionnaires ON envoient donc des influx le long des fibres optiques au début de la stimulation lumineuse; les ganglionnaires OFF à la fin. Le message nerveux en amplitude est transformé en un message codé par la fréquence des potentiels d'action. Le nerf optique les transmet finalement à la zone optique du cerveau. A ce dernier la tache de décoder, étape par étape, les potentiels d'actions, pour reformer une image en trois dimensions et en couleurs. Cette dichotomie ON/OFF signifie que l'image rétinienne, échantillonnée par les cônes, est subdivisée en deux sous-images. L'une est formée par les augmentations locales de la quantité de lumière, l'autre par ses diminutions.

Ainsi, nous avons vu qu'avant d'être transmise par les fibres du nerf optique, l'image est traitée par plusieurs cellules nerveuses. En effet, les cônes se chargent de mesurer, point par point, sur l'image oculaire, le contenu énergétique de la lumière qu'ils captent et de traduire ces mesures par l'amplitude du potentiel récepteur. Les autres cellules rétiniennes se chargent de collecter et d'intégrer des signaux échantillonnés par un certain nombre de cônes, distribués sur des surfaces plus ou moins étendues de la mosaïque rétinienne. Ces surfaces, ces zones de collecte s'appellent des champs récepteurs.

2.3.4. Champs récepteurs

Ceux-ci ont une forme grossièrement circulaire (de 100 μm de diamètre), pouvant être divisée en deux zones concentriques. La figure ci dessous montre l'organisation de ces champs récepteurs rétiniens.

Figure 2-8. Champ récepteur rétinien

L'ensemble des photorécepteurs en relation avec une même cellule ganglionnaire forme son champ récepteur. Au centre, la population de cônes en contact synaptique direct. A la périphérie, la population de cônes connectée à la cellule bipolaire via les cellules horizontales.

Celles-ci possèdent la caractéristique d'inverser les signaux émis par les photorécepteurs de la périphérie; ainsi, s'ils sont soumis aux mêmes conditions d'éclairement, les cônes des deux zones (centre et pourtour) exercent des influences antagonistes sur la cellule bipolaire. Prenons l'exemple d'une cellule bipolaire ON (BipI). Nous avons vu qu'un supplément de lumière dans le centre de son champ récepteur l'excitait. Simultanément, un supplément de lumière de son pourtour va l'inhiber. Ainsi, quand centre et pourtour sont soumis à la même variation de lumière, l'excitation par le centre et l'inhibition par le pourtour se contrecarrent (les signaux s'annulent), et la cellule bipolaire reste "muette". Par contre, la même cellule répond de façon optimale quand le centre est illuminé et, en même temps, le pourtour assombri. Inversement, dans le cas d'une bipolaire OFF (BipS), celle ci répondra de façon optimale quand le centre de son champ récepteur sera sombre et son pourtour éclairé. En d'autres termes, la cellule bipolaire mesure le contraste de lumière entre le centre et le pourtour de son champ récepteur.

Figure 2-9. Mesure du contraste par les cellules horizontales

Etant donné que l'activité des trois catégories de cônes, S, M et L, est restreinte à trois régions distinctes du spectre, le bleu, le vert, et le rouge, le contraste mesuré pourra porter sur des comparaisons chromatiques entre des populations distinctes de cônes. Selon le type d'articulations assuré par les cellules horizontales entre ces cônes, trois sortes d'opposition existent:

Figure 2-10. Oppositions des couleurs

Ainsi, certaines couleurs se mélangent mieux que d'autres. Par exemple, il est difficile d'imaginer un vert rougeâtre ou du jaune bleuâtre, des couleurs opposées. Bien entendu, la distinction ON et OFF porte sur chacune de ses voies.

Nous venons ainsi d'étudier le cas des cônes situés dans la zone périphérique de la rétine, or il y a aussi des cônes dans la fovéa, qui sont d'ailleurs, comme nous l'avons déjà dit, beaucoup plus nombreux. Les cônes de la fovéa sont elles en relation avec une seule cellule bipolaire, elle-même en relation avec une seule cellule ganglionnaire. Il y a donc, pour chaque cône une fibre nerveuse spécifique (axone de la cellule ganglionnaire): cela explique la vision très fine que procure la fovéa. Cellules horizontales et cellules amacrines interviennent en tant que modulateurs sur cette chaîne, comme dans le cas des cônes de la périphérie.